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À MEIRA WARSHAUER, A JACK, A TOUS LES AUTRES
Alicia Ostriker
Engoncé dans un sac de couchage. Chaussures de sport. T shirts. Affaires dans un Caddy à côté
de lui dans le passage souterrain. Parfois la compagnie d’un chien. Dans le jardin public. Sur les
marches de l’église. Sous un pont. Sur une bouche de chauffage, appuyé sans rien dire contre
un mur, n’importe où mais, tout d’un coup, là où il pourrait être relativement à l’abri de la peur.
Il est vrai que pigeons et passants ont coutume de ne pas le voir, même s’il a le regard glacé
d’un roi, mais nous non plus d’habitude nous ne voyons pas les autres dans la rue, l’ascenseur,
au restaurant et au spectacle, comme si c’était la règle, comme si hors de nos quatre murs, tout
d’un coup, la loi nous enjoignait de faire comme si les autres n’existaient pas, parce qu’il faut
se protéger de l’avalanche d’esprits furieux qui vous tombe sur le poil comme des anges déchus
à Gravelotte, et qu’ayant du mal à bouger sous cette carapace je n’arrive pas à montrer à Jack, à
celle qui est allongée à côté de lui, engoncée dans des châles, que je viens de les voir tout d’un
coup, là, mais je le fais, je le sais, je peux même leur donner la pièce, pour leur montrer que je
les ai vus, anges déchus ou fleurs tombées et que je pourrais être à leur place –
Un peu d’argent, une bonne parole peut-être, d’eux aussi peut-être en retour et si je m’arrête
tout d’un coup, là un quart de seconde, toute ébouriffée de pigeons, dans un accordéon de
voitures et de bus, de feux qui passent par toutes les couleurs comme tout le reste, atomisé
brownien, si je tombe à genoux tout d’un coup, là dans la rue, Jack, est-ce que tu auras envie de
me voir, envie d’être vu ?
Je te vois en roi déchu. Je nous vois tous calfeutrés dans nos sacs à viande et toi
femme sous tes couvertures dépenaillées je te vois reine en exil, un instant
là, tout d’un coup.
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